Ami.e designer, architecte, urbaniste, tu rêves de savoir ce que pensent les usager.e.s de tes créations et propositions ? Arno Bertina, Mathieu Larnaudie et Oliver Rohe se sont plongés pendant quatre ans dans le célèbre quartier du Blosne à Rennes pour faire entendre la voix de celles et ceux qui n’ont pas voix au chapitre (inclus : les raisons d’un mutisme).

« – L’enjeu c’est la confiscation de la parole.

– Quoi ?!

– Ce n’est pas une affaire de murs plus épais ou de toboggan pour le square Machin ; l’enjeu c’est de restituer la parole à ceux qu’on a empêchés de parler. »

Mais qui a empêché qui de parler ? Je suis fils d’immigrés algériens, j’ai grandi dans une HLM, qui m’a empêché de parler et de devenir qui je suis aujourd’hui ?! J’étais furieux mais levant les yeux sur elle, j’ai eu le temps de voir qu’elle était déçue de parler au roi des cons.

C’est au Blosne, un quartier de Rennes élevé en 1967. Au début, les appartement de la « Zup Sud » sont grands, lumineux, sans moisissures, les nouveau·elle·x·s habitant·e·s ravi·e·s. Puis l’architecture vieillit, l’autarcie urbanistique gagne. Dans les années 2010, la mairie décide de rénover le quartier. On lira ici les textes municipaux et un point de vue alternatif. De 2016 à 2018, une consultation avec les habitant·e·s est organisée, et même des voyages à Barcelone et Berlin pour observer des exemples de rénovations urbaines.

Arno Bertina, Mathieu Larnaudie et Oliver Rohe, qui se connaissent bien puisqu’ils sont depuis le début membre du collectif Inculte, ont été à différents moments durant cette période en résidence au Triangle, centre culturel et cité de la danse du Bloisne. Ils ont rencontré des habitant·e·s et en ont tiré un roman documenté, Boulevard de Yougoslavie (qui est l’adresse du Triangle), dont le principal narrateur est Youcef Bouras. Celui-ci, urbaniste bien dans ses clous, est un transfuge de classe qui peine à comprendre pourquoi les habitant·e·s du Blosne ne veulent pas du projet qu’il leur propose.

En plus de Bouras et de tous les habitant·e·s, il y a d’autres protagonistes qui offrent des points d’accès différents aux situations décrites : une bretonne « immigrée de l’intérieur » dans les années soixante, un adolescent syrien, un étudiant en cinéma, un psychiatre d’origine mexicaine, une étudiante en urbanisme qui assiste une politique,… Les trois auteurs racontent le comment et le pourquoi de ces personnages et qui a écrit quoi :

En multipliant les prismes, en essayant de se mettre à la place de l’autre (non pas pour la lui prendre, mais plus exactement en laissant l’autre se mettre à notre place), Boulevard de Yougoslavie n’apporte aucune réponse mais essaie de donner un maximum de contexte à toutes les questions qu’on peut sans doute se poser en tant que designer ou que citoyen : ce qu’est la forme d’une ville ou d’un artefact, comment on négocie la démocratie, comment on se sent légitime, pourquoi on ne se sent pas Français, qu’est-ce qu’un usage, etc. Le roman finit bien, du point de vue conceptuel : comme l’explique Arno Bertina, on y rencontre « une population qui devient experte de son propre quotidien » en ce que « le quotidien est le lieu d’une forme d’intelligence très particulière, est le lieu non pas de l’idéal mais d’une pratique ».

Et comme vous avez de la chance, ici et seulement sur revuedecor.fr, un extrait du roman :

INCULTE_Extrait_Boulevard-de-Yougoslavie

Les articles signés « Décor » sont rédigés par les responsables éditoriaux.
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