Albane Chaumet, Ododo !, 2018, prise de vue réelle et animation traditionnelle (9′).
Est-ce que tu as bien dormi aujourd’hui ?
Parfaitement bien, merci ! J’ai rêvé que la reine d’Angleterre me demandait de chanter la Marseillaise… Pourquoi ?
Alors on va tout de suite évacuer la première question qui vient à l’esprit : est-ce que tu es insomniaque et est-ce cela qui t’a poussée à réaliser ce film ?
Non pas du tout ! J’ai utilisé l’insomnie comme prétexte pour mettre en scène un personnage face à ses pensées, ses angoisses et le moment du lâcher-prise où tout se mélange.
De ce point de vue, on dirait que la situation est en adéquation avec la technique que tu utilises : le personnage est entre le rêve et l’éveil, de la même façon que le film mêle prise de vue réelle et animation…
Le personnage ne dort pas mais somnole. J’ai construit le montage à partir d’un principe simple : on est réveillé en prise de vue réelle dans la chambre et on part dans ses pensées en animation. La légèreté du dessin et son élasticité permettent au flot des idées de s’étirer à l’infini en opposition au – relatif – calme vidéo qui nous ramène dans la chambre. La limite entre les deux est ténue puisque le montage n’est fait que d’allers-retours et que j’ai construit les éléments du décor dans une esthétique carton-pâte afin de lisser la transition vers le dessin animé. L’héroïne esquisse un début de rêve, se laisse aller et à chaque fois qu’elle pourrait tomber dans le sommeil, un élément la rattrape. Que ce soit une pensée qui vient en couper une autre ou un élément extérieur (le bruit du réveil par exemple) qui la tire de sa rêverie. À la fin, le rêve incarné par « Monsieur Machin » vient réellement envahir l’espace de la chambre et tout est brouillé.
Le mélange prise de vue réelle/animation fait partie de ton style ou bien c’est particulier à Ododo ?
Je dirais que le mélange de techniques plastiques en général fait partie de mon style mais pour Ododo ! j’ai tourné en prise de vue réelle pour la première fois. Je n’aime pas l’idée de me figer dans une esthétique trop reconnaissable, même si malgré moi certaines choses reviennent, la question du mélange et de l’enchevêtrement en particulier. Que ce soit dans les images ou dans les mots, j’aime penser mon travail comme un tissage avec des connexions plus ou moins conscientes qui peuvent s’assembler comme un puzzle où chacun choisit l’image finale.
De fait, on a l’impression pour Ododo ! que ce sont les mots qui donnent l’impulsion, voire les sons, comme tu l’as dit, et que le film se construit par glissement d’un signifiant à l’autre… À un moment, le personnage en vient à imaginer une « panse de Barbie farcie »… ce qui nous amène à la question du corps féminin. C’est aussi un film sur le corps et ses représentations, sur la sexualité féminine ?
Gros morceau cette question ! J’ai commencé par écrire avant de dessiner. À partir d’idées de gags, de jeux de mots ou de situations, j’ai laissé dérouler ma pensée en écriture automatique. Un peu comme mon personnage dans le film. Puis les images sont venues et elles ont re-modifié le texte par moments. Pendant toute la fabrication du film, je me suis laissé la possibilité de changer des choses, revenir en arrière et ajouter de nouvelles idées. La question de la sexualité féminine est arrivée en cours de route presque malgré moi. Disons que je ne me suis pas censurée, et les huîtres hermaphrodites ont débarqué ! Ce n’est pas le sujet principal du film mais c’est un des thèmes principaux : comment le sexe est toujours là même si il n’est pas consciemment exprimé.
Donc on ne peut pas dire : « C’est l’histoire d’une jeune fille dans un univers enfantin qui parle beaucoup d’autoérotisme (“s’inspecter le nombril”, “s’astiquer la clochette”, …) et qui s’apprête à rencontrer un monsieur » ?
Si, on peut ! Mais je laisse chacun libre de voir et d’entendre ce qui lui plaît. Je laisse traîner quelques indices mais je ne souhaite pas indiquer un sens de lecture unique au spectateur. Certains n’y verront qu’une banale insomnie. J’aime l’idée qu’un film terminé échappe à son réalisateur et que des sens cachés puissent aussi apparaître à des endroits qui n’avaient pas été prémédités. Les mouillettes par exemple, c’est une allusion que j’ai remarquée à la projection du film alors qu’il était déjà terminé depuis des semaines.
Du point de vue formel, on dirait que la germination ou la dissémination sont une stratégie contre l’interruption. Parce que, comme tu le dis, c’est moins la question du manque de sommeil que le problème qu’une pensée vient en couper une autre de façon obsessionnelle… Et c’est comme si, pour répondre à cette impossibilité de ne pas être « coupé », le film choisissait de démultiplier les objets, chaque situation s’éclatant littéralement en myriades de sous-situations, un peu comme les balais magiques dans le Fantasia de Disney…
J’ai voulu retranscrire le chaos d’un esprit agité, inconstant, préférant jouer avec des concepts idiots que de se calmer pour enfin s’éteindre et s’entendre. On cherche le bouton OFF mais au lieu de ça les boutons ON sont partout et on ne peut pas s’empêcher d’appuyer dessus, juste pour voir.
Toi-même, tu as coupé beaucoup de choses, lors de la réalisation et du montage, par rapport au scénario original ?
J’ai travaillé longtemps sur l’animatique (c’est l’étape animée après le story board) afin de trouver une construction finale qui me plaisait. Et j’ai beaucoup changé le sens des différentes saynettes en trouvant de nouvelles transitions orales ou visuelles. C’est surtout dans ces transitions que l’on sent la personnalité de mon personnage. Pourquoi pense-t-elle à « saint Slip » alors qu’une seconde avant elle est concentrée sur son programme du lendemain où elle a prévu d’aller à la piscine ? On fait tous un peu ça : connecter nos synapses sur un lapsus bien plus amusant que nos préoccupations pratiques et quotidiennes. Cela dit, je n’ai pas trop recoupé dans les plans animés car tout est dessiné image par image et c’est si long que je les ai faits petit à petit, afin de m’assurer d’en retirer le moins possible.
Autre question d’œuf et de poule : à propos du dessin, tu as utilisé le crayon parce que c’est un personnage enfantin ou bien c’est un personnage enfantin parce que tu utilises habituellement la technique du crayon ?
J’ai choisi le crayon par première impulsion car j’ai toujours eu le fantasme de fabriquer un « vrai dessin animé ». C’est tellement laborieux que j’ai voulu profiter de ce temps de réalisation très libre pour ne pas avoir la pression d’une production qui m’empêcherait de tout colorier faute de temps ou d’argent. Après, arrive le personnage dont l’esprit brouillon va s’adapter à l’esthétique des images gribouillées.
Comment fait-on pour importer Vilama Pons et ses rôles précédents dans un film ?
L’année d’avant j’avais entamé des recherches sur le nonsense et j’étais tombée avec émerveillement sur les films d’Antonin Peretjakto. En écrivant Ododo ! je n’arrêtais pas de penser à Vimala dans La fille du 14 juillet et je n’arrivais pas à me représenter le personnage de mon film autrement qu’à travers sa spontanéité et la nonchalance enfantine qu’elle dégage. Alors j’ai pris mon petit scénario et je suis allée le lui donner à la fin de son spectacle GRANDE- qu’elle jouait alors au Cent Quatre. Pendant le spectacle, Tsirihaka Harrivel lance des poignards sur une poutre, que Vimala tient en équilibre sur sa tête tout en lui demandant d’arrêter de la couper quand elle parle. J’avais déjà une idée du même type dans mon scénario : « le meilleur coupeur c’est le plus hauuuuuut parleur ! » alors j’y ai vu un signe. À ma grande surprise elle m’a rappelée bien plus tard, alors que j’avais déjà prévu mes enregistrements avec une autre actrice.
Depuis Ododo ! sur quoi as-tu travaillé ? Tu as un film en cours ?
J’ai d’abord continué mes recherches en écriture et animation avec la résidence « Création en cours » où j’ai réalisé une mini-série en dessin animé avec une classe de CM1, Les histoires à dormir debout. Le rêve revient toujours ! Là ce sont les enfants qui dessinent et qui racontent, j’ai fait en sorte de leur laisser le plus de liberté possible et j’ai surtout travaillé à tout assembler après. Le résultat est très rigolo. En ce moment, je réalise un clip en peinture animée pour Clément Walker, qui sortira cet été. On y verra l’errance visuelle d’un personnage dans un appartement aux allures de cabinet de curiosité. Cela l’entraîne dans une rêverie qui conduit le spectateur dans un voyage aux abords de l’art naïf. Sinon, je réfléchis à l’écriture d’un prochain court, ou peut-être même d’une série…